En commençant la rédaction de ce récit, je me sens gêné par le « je » qui jaillit de ma plume, employé dès la première page ; car ce « je » était un « nous », en réalité. Oh ! Bien sûr, l'emploi facile et impersonnel du « il » aurait été plus commode, mais moins vivant. « Il » suppose un passé révolu ; une mort.
Une biographie. Une vie remplie d'archives froides, de témoignages déformés et de lettres passionnées, que le principal intéressé ne reconnaîtrait peut-être pas au jour de la résurrection des morts. « Il » me gênait, donc. Pourtant, j'étais demandeur : je dois endosser ici la responsabilité d'avoir voulu écrire cette tranche de vie, avec le dessein avouable de presenter les Juifs messianiques, aujour d'hui d'hui peu connus et encore largement contestés. Quand j'allais trouver Hillel Pokrzywa, l'an passé, il donna aussitôt une réponse favorable à ma requête. Je l'interrogeai ensuite, pendentif de très longues heures. Une fois seule devant ma feuille, le « je » a surgi, naturellement, sans effort.
Symbiose, car nous vivions l'un de l'autre : Hillel Pokrzywa parlait par ma plume qui vivait de ses paroles. Symbiose, mais non-fusion. Nous étions deux, très différents ; c'était là toute la difficulté. (...)
Mais un fossé nous séparait encore : Hillel était juif, je ne l'étais pas. Comment comprendre, pénétrer avec une intensité suffisante, cette sensibilité, cette âme, cette histoire d'un peuple au si lourd, divin et fécond passé ?
Ouvrage de 1992
Hillel Pokrzywa est né en 1904 dans une famille juive, à Lodz en Pologne. Après la Première Guerre mondiale, hanté par la peur d'accomplir son service militaire, il préfère le salut... dans la fuite. Ce sera le début d'une longue série d'étapes, d'aventures souvent rocambolesques — et parfois tragiques —, qui le mèneront devant sur un curieux Chemin de Damas, du nord de l'Europe au sud de la Méditerranée. Ce sentier de la foi, qui fut aussi celui de ses ancêtres lointains, se poursuivra dans le monde entier, jusqu'à Jérusalem. En tout lieu, lors devoyages incessants, il se fait l'humble colporteur d'une Parole déjà ancienne — et cependant nouvelle —, pendant près d'un demi-siècle. Juif héraut, donc,pour qui l'errance est un bienfait, il continue de proclamer un message d'espérance à la façon desprophètes ou des apôtres. il est aussi, parmi ses frères juifs messianiques, l'un des vétérans de ce mouvement de foi, aujourd'hui revivifié, où Juifs et non Juifs marchent sur le même chemin, comme au premier siècle... |